Se lever un matin en constatant que l’on a dormi pendant 11 ans n’est pas une mince affaire.

Julie est de ces personnes qui aime rester emmitouflée dans une couette à attendre que le dimanche passe, quelque part entre Netflix et le frigo. Il faut dire que son parcours social affiche une météo des plus grise dans lequel le statut de célibataire reste encore un titre honorifique, au vu de son palmarès. Côté professionnel, c’est plus réjouissant. D’origine latine, son parcours impressionne par le nombre de pays conquis durant son assistanat de médecine.

Son appartement est vide car ses jours de congés se passent bénévolement à l’hôpital. Julie ne connaît pas la vie en dehors des soins ni les subtilités du quotidien, lorsque l’on sort par exemple et que l’on s’expose en frissonant à l’aventure. Elle fond gentiment, jour après jour, dans un monde éclairé par les néons hospitaliers qui effacent l’heure du repos. Les cafés se prennent entre deux désinfections de mains, debout près d’un distributeur, sans horaires ni vie privée, la voilà au bout du rouleau.

Un parcours de combattant

Julie me raconte la lutte acharnée, dès son entrée à l’université, pour réussir à enjamber une à une les sélections afin de survivre jusqu’au prochain test éliminatoire. Les examens et la menace d’être éjectée à tout moment ont fait partie de son quotidien dès le premier jour de sa formation. Après sept ans de compétition, elle quitte l’université pour se former dans 4 pays différents. A chaque fois elle a du réapprendre les moeurs locales, la langue et se reconstruire un ersatz de foyer dans des appartements qu’elle n’osait pas trop meubler par peur de s’y attacher. Les pièces ont toujours été spacieuses, mais tristement vides. Ses journées se font à l’hôpital dans lequel elle peut sentir la vie et interagir avec elle. C’est son unique repère car l’ambiance est la même dans chaque pays. Son statut de médecin assistante prolonge cette vie déracinée à travers les pays qu’elle côtoie. Chaque année elle déménage dans une autre ville et chaque jour le vide s’installe lorsqu’elle sort pour retourner dormir chez elle.

La fin du coma

Un matin pourtant, l’anesthésie de la routine n’a pas fonctionné correctement. Julie s’était réveillée chez elle plus tard que prévu. Elle n’était donc pas présente dans le service lorsqu’une de ses patiente eut une grave complication des suites d’une opération. Quand Julie arriva dans son service, tout le monde était en effervescence sauf elle, appuyée contre le mur en arrière plan. Elle vit ses collègues prendre la situation en main, s’occuper de la patiente tout en virevoltant autour du lit électrique, puis disparaître dans l’ascenseur laissant un vide douloureux. Personne ne s’était aperçu de sa présence car elle n’avait pas encore enfilé sa blouse blanche. Ses collègues ne l’avaient même pas regardé en la croisant. Julie venait de se réveiller d’un coma social de 11 ans.

La reconstruction de soi

Après un moment de silence et un long partage autour de sa situation, nous avons trouvé une piste intéressante. Afin de permettre à Julie de sortir de son cocon médical et de développer tout un pan de vie atrophié, il fallait frapper fort et nourrir son besoin de vie et lui permettre de découvrir son énergie propre. Son premier travail consista à remplir un journal des possibles, un exercice simple et puissant qui devait permettre d’extraire le meilleur d’elle tout en mettant en lumière ses forces et les directions à explorer. Chacun de nos rendez-vous se passa dans un lieu différent qu’elle devait visiter avant. Nous nous sommes vus dans un musée, une brasserie, un parc et divers cafés insolites. A chaque fois, Julie rayonnait un peu plus de ses expériences. A force de travail et d’acharnement , un chemin plaisant s’était profilé pour elle, avec la promesse de pouvoir enfin jeter une ancre ailleurs qu’à l’hôpital.

Epilogue

Quelque part en Espagne , une cheffe de clinique arpente les sentiers de st-Jacques de Compostelle durant les belles journées d’été. A ses côtés, deux amies rencontrées à son travail rigolent. Toutes trois discutent de leurs prochaines vacances en Nouvelle-Zélande. Julie a enfin trouvé sa richesse et maintenant elle l’utilise pour mordre la vie tapie de l’autre côté de la blouse blanche. Dans un hôpital de province, un médecin de talent à réussi à sauver sa propre vie ce qui n’est pas un mince exploit.